Si " la conscience est le fruit ultime de l'évolution", il est plus que jamais nécessaire que cette conscience permette de prendre définitivement la mesure des risques écologiques et conduise à une évolution des modes de pensée, mais aussi des systèmes de valeurs qui régissent le fonctionnement actuel de nos sociétés.
La remise en perpective les grandes tendances de l'évolution de nos sociétés dans un contexte historique est utile pour comprendre le cheminement de nos représentations en matière de développement planétaire et de mondialisation. L'évolution de nos sociétés n'est pas linéaire. Nous régressons et progressons à la fois. L'écart de revenus continue de se creuser entre les pays les plus riches et les plus pauvres.
Le développement que l'on connaît depuis les années 1970 conduit à trois tendances majeures : il laisse à la traîne des personnes qui vivent dans l'extrême pauvreté et meurent encore de faim ; il augmente les disparités économiques, sociales et culturelles ; il accélère de manière exponentielle la pollution et les dégâts environnementaux de notre planète.
L'accès aux biens primaires comme se nourrir, se loger, se soigner n'est plus satisfait. L'éducation, les soins médicaux et la liberté d'exercer une activité rémunératrice restent inaccessibles pour un nombre significatif de personnes. À ces caractéristiques démographiques, économiques et sociales, il convient d'ajouter l'impact écologique de l'industrialisation de nos économies.
Près de 80 % de l'empreinte écologique humaine est ainsi le fait de 20 % de la population mondiale. Entre 1960 et aujourd'hui, l'empreinte humaine a doublé. Les industries extractives, chimiques et énergétiques ont un impact particulièrement nocif sur l'écologie de notre planète. Les modes de consommation de type occidental, centrés sur l'hyperconsommation, les biens jetables et la surproduction conduisent à un impact écologique qui dépasse largement ce que la planète peut absorber. Dans les pays dits « riches » (dont la Chine et le Brésil), 30 % de la population est obèse et 60 % en excès de poids. Aux États-Unis ou en Angleterre, 40 à 50 % de la nourriture achetée finissent à la poubelle. Le réchauffement climatique, la baisse de la biodiversité, la dégradation des sols et des ressources primaires sont à présent reconnus par la communauté scientifique. Ce sont les activités humaines qui sont responsables de la dégradation de nos écosystèmes. Pourtant, les courants négationnistes et les lobbies anti-écologiques demeurent encore vifs et puissants.
Les droits fondamentaux tels que la liberté de pensée, d'expression et de vote ne sont pas encore systématiquement reconnus par les pays. Et l'on voit un lien direct entre le non-respect des droits fondamentaux et le niveau de développement des pays. Le statut des femmes est très représentatif de la relation entre développement économique et développement politique.
Plus les sociétés sont réactionnaires, autocratiques, voire traditionalistes, moins elles laissent de place aux femmes pour exister socialement. Il en est de même du rapport aux minorités ethniques, sexuelles, de cultes, de traditions, etc. Il y a donc une relation directe entre la qualité démocratique et le respect de la diversité culturelle.
Ce même parallèle peut être fait entre la reconnaissance d'une nécessaire biodiversité, qu'elle soit culturelle ou écologique. Le principe de la reconnaissance de notre biodiversité culturelle est étroitement lié en ce qu'il implique une reconnaissance de l'autre dans sa différence, qu'il soit humain, végétal ou animal.
Au niveau collectif de nos sociétés, des conditions sont nécessaires pour favoriser cette reconnaissance et faire vivre ensemble les différences. Cela passe en particulier par une qualité de débats, un dynamisme de la société civile, une transparence des institutions représentatives et un respect des droits fondamentaux. Il y a donc un parallèle entre le respect de la biodiversité culturelle et une société dynamique d'un point de vue démocratique.
La même chose s'applique pour la biodiversité écologique et implique que le vivant – au-delà de l'homme – soit reconnu et respecté par les États. Mais cela nécessite aussi qu'une gouvernance voie le jour.
Nous progressons dans une conscientisation de l'interdépendance de nos sociétés, dans le lien entre l'activité des hommes et la planète. Mais nous ne parvenons pas à engager des actions qui stoppent nos modes de consommation et de production désastreux au niveau écologique. C'est donc bien dans l'articulation de la nature même de notre développement que nous ne parvenons pas à imaginer d'autres modes de prospérité pour nos sociétés. Nous manquons d'un imaginaire créatif qui porte de nouvelles aspirations et nous incite à changer de cap, à abandonner notre vieille peau pour effectuer notre métamorphose.
Progresser dans une représentation plus large de notre planète appelle naturellement à l'intégration d'une « éthique de l'altérité », à trois niveaux : libération de la part altruiste et empathique de soi ; reconnaissance et célébration de la différence de l'autre ; reliance avec les singularités diverses.
Si « la conscience est le fruit de l'évolution » (Edgar Morin), elle ne peut donc se cueillir qu'à maturité. On la récolte après l'avoir semée. Elle advient et devient visible alors qu'elle mène sa révolution dans le silence. Les systèmes de valeurs nous permettent d'appréhender le changement de conscience aux niveaux individuel et collectif. Plusieurs approches systémiques existent, mais nous retiendrons ici celle de Brian Hall, qui montre que la « bascule » (« shift ») viendrait de ce que nous passerions de systèmes de valeurs autour de « la survie » et de « l'appartenance » (familiale, sociale, institutionnelle) à ceux porteurs « d'émancipation » et « d'interdépendance ». Nous pouvons, à partir de cette grille de lecture, proposer une interprétation de nos différentes représentations par rapport à la question écologique.
Nos valeurs et comportements évoluent en lien avec nos besoins, désirs et aspirations. Au-delà de nos besoins physiques, nous avons également des besoins émotionnels, mentaux et spirituels. Notre rapport à l'écologie évolue donc aussi en fonction de notre niveau de conscience. D'où l'enjeu actuel de passer d'une représentation de la survie et de l'appartenance à une représentation de l'émancipation et de l'interdépendance.
La transformation en termes de changement de conscience se caractérise par deux dynamiques, l'une tournée vers l'individu, qui marque un passage de l'individualisme à l'individuation avec une recherche d'émancipation ; l'autre tournée vers le bien commun, au travers d'un nouveau regard solidaire sur le monde. Dans ce cas, la construction de soi se fait au niveau intrinsèque et extrinsèque de la personne. Cela implique, en d'autres termes, de favoriser la dimension altruiste de l'individu et son regard empathique sur le monde. Cette valeur est importante.
Les limites de notre conscience ne s'expliquent pas uniquement par un ego trop fort, mais aussi par l'absence de curiosité, par le manque d'intérêt pour l'autre, par la peur de l'altérité. C'est grâce à cette altérité que l'individu peut alors s'émanciper en respect avec les autres et le reste du vivant. C'est en développant son rapport à l'interdépendance, après avoir compris de manière systémique qu'il fait partie d'un tout, qu'il peut alors comprendre la nécessité de concevoir l'écologie et le reste du vivant comme essentiels et contribuant à son propre développement. Notre conscience écologique ne peut progresser que si l'éthique de l'altérité est abordée sous ses deux volets : connaissance du soi intrinsèque et développement du soi extrinsèque.
La gouvernance planétaire nécessite de prendre conscience de notre co-évolution avec les hommes, mais aussi avec la faune, la flore, le reste du vivant. Mais cela ne saurait suffire pour appréhender ce que nous vivons et passer à l'action. Vivre en interdépendance exige également d'adopter une posture qui laisse part au mystère, aux choses que l'on ne comprend pas encore ou qui nous échappent.
La solidarité écologique n'est pas une solidarité comme les autres. Elle implique une intégration non seulement de divers systèmes de valeurs et de représentations qui se manifestent à l'heure actuelle, mais elle cherche également à adresser la dévastation écologique (réchauffement climatique, baisse de la biodiversité, dégradation des sols et nappes phréatiques, etc.) dans un horizon à plus long terme.
Pour pouvoir relier, au sens écologique, la conscience doit s'accompagner d'un état d'esprit. Un état d'esprit proche de celui du prospectiviste et de l'humaniste cherchant à inventer des futurs souhaitables, qui rallie besoins primaires aux besoins supérieurs : par exemple, considérer que restaurer une dynamique de développement pour les trois milliards de personnes qui souffrent de la faim n'est pas limitant pour les autres et permet de répondre par l'action à une nécessité altruiste.
Tout d'abord, les Français projettent l'image d'une France en proie à de nombreux problèmes, qui contraste avec les solutions envisagées et le futur rêvé. Les valeurs dites de « survie » représentent 57 % des valeurs citées contre 5 % des valeurs auxquelles on aspire. On se plaint donc de manquer des biens primaires, mais on aspire en grande majorité à une France plus honnête, juste et respectant les droits de l'homme. Par ailleurs, les valeurs dites d'intérêt personnel (sécurité, santé, profit, etc.) sont surreprésentées, au détriment des valeurs transformationnelles (autonomie, adaptabilité, émancipation, délégation, etc.) ou des biens communs (générosité, générations futures, collaboration, protection de l'environnement, intégrité, créativité, etc.). Ceci est étonnant venant d'un pays relativement « riche et développé » qui se projette comme un pays en danger et en forte insécurité du point de vue de ses valeurs. C'est ce que Richard Barrett appelle « l'entropie culturelle ». Lorsqu'elle est forte, comme dans le cas de la France, cela témoigne de freins à la transformation par manque de confiance dans le système et dans le gouvernement.
« Puisque toutes ces solutions ont été imaginées par des hommes, il n'est pas interdit de penser que nous pourrions imaginer de nouvelles façons de vivre ensemble, et peut-être même de meilleures. » Ces paroles de l'anthropologue Philippe Descola sont source d'espoir. Nous pouvons penser notre avenir de manière différente. Nous disposons de moyens considérables, mais nous devons clarifier nos intentions en précisant les valeurs qui doivent à présent guider le socle de notre progrès planétaire.